Le projet d’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur suscite inquiétudes et polémiques. Sans entrer dans ces débats, nous essaierons ici de décrire aussi objectivement que possible, avec nos lunettes d’avocates spécialisées en propriété intellectuelle, ce que le projet prévoit dans notre domaine.
La question de la protection des droits de propriété intellectuelle est souvent incontournable dans le cadre de la négociation d’alliances commerciales internationales. Il s’agit de discuter de la façon dont le système facilitant les échanges entre plusieurs pays prendra en compte les règles du jeu sur la protection des créations, des inventions, des indications géographiques etc. Ainsi, dans le cadre de l’accord qui a institué l’Organisation Mondiale du Commerce en 1994, les pays membres ont négocié un accord spécifique sur les « ADPIC » (aspects de droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), amendé plusieurs fois depuis.
Le projet d’accord UE-Mercosur ne déroge pas à la règle et consacre tout un chapitre à la propriété intellectuelle. Nous traiterons ici des sous-sections portant sur les indications géographiques, les brevets et les variétés végétales en laissant de côté les droits d’auteur, marques, dessins et modèles et secrets d’affaires pour une éventuelle deuxième publication.
Indications géographiques
C’est pour cette catégorie de droits que le projet d’accord contient les dispositions les plus importantes. Le projet prévoit un système de reconnaissance des indications géographiques entre les parties à l’accord et des règles de protection minimales que chaque pays doit intégrer.
L’Annexe 2 de l’accord donne une liste de 355 indications géographiques européennes et de 220 indications des quatre pays du Mercosur que les Etats signataires s’engagent à protéger. Parmi les indications européennes, c’est la France qui arrive en tête avec 63 indications, derrière l’Espagne (59) et l’Italie (57). Les gourmands saliveront à la lecture de cette liste qui met à l’honneur Champagne, Huîtres Marennes Oléron, Génisse Fleur d’Aubrac, Reblochon, Cognac… et du côté du Mercosur, la Cachaça brésilienne, connue des amateurs de caïpirinha et les vins rouges argentins de Mendoza et Salta.
Sur la base du principe de « liste ouverte », de nouvelles indications géographiques pourraient être rajoutées après l’entrée en vigueur de l’accord.
Un régime spécial est prévu pour certaines indications protégées en Europe mais qui sont utilisées depuis plusieurs années par certaines entreprises du Mercosur. Parmi ces 9 indications, le manchego, le gruyère, le gorgonzola. Les entreprises sud-américaines qui utilisent ces dénominations et figurent sur certaines listes, pourraient continuer à le faire, à condition de prendre certaines précautions pour éviter toute confusion avec les produits européens protégés par ces indications.
Brevets
Un seul article du projet d’accord traite des brevets. Il prévoit simplement que chaque Etat signataire devra faire ses meilleurs efforts pour adhérer au Traité de Coopération en matière de brevets (plus connu sous les initiales de PCT) signé en 1970 qui facilite le dépôt de brevets dans les pays membres de l’accord et réduit les coûts pour les entreprises innovantes qui souhaitent protéger leurs inventions à l’international.
Actuellement, le Brésil et l’Uruguay sont membres (l’Uruguay depuis le 7 octobre 2024) mais pas l’Argentine ni le Paraguay.
En pratique, cela signifie d’une part que les entreprises européennes qui souhaitent protéger leurs inventions en Argentine et/ou au Paraguay, doivent faire des dépôts auprès des offices nationaux et d’autre part que les entreprises de ces deux pays ne peuvent pas bénéficier des facilités du PCT pour protéger leurs inventions en dehors de chez elles.
Variétés végétales
La protection des variétés végétales fait l’objet d’une convention dite UPOV, ce sigle renvoyant à l’Union internationale de protection des obtentions végétales instituée en 1961 et qui a depuis été révisée trois fois, en 1972, 1978 et 1991.
Les pays du Mercosur n’ont pas adhéré à la version de 1991 qui prévoit que les droits de PI appartiennent aux sélectionneurs et qui interdit aux exploitants agricoles de produire, échanger et commercialiser leurs propres semences mais également de conserver et de reproduire d’une année à l’autre des semences homologuées achetées auprès des producteurs homologués.
Sur ce point, le projet d’accord prévoit que chaque pays signataire devra coopérer pour promouvoir la protection des variétés végétales et protéger les droits sur les variétés végétales, conformément à la Convention UPOV dans sa version de 1978 ou de 1991. En clair, le projet d’accord maintient le status quo.